Qu'est-ce que c'est et pourquoi les hommes en ont peur ? Une analyse de la littérature scientifique et une tribune personnelle par Lili Baccou
La misandrie
Qu’est-ce que c’est et pourquoi les hommes en ont peur ?
un article et une tribune personnelle par Lili Baccou
La misandrie est un terme qui désigne l’aversion, la méfiance ou la haine envers les hommes. Souvent perçue comme l’opposé de la misogynie, elle reste un concept débattu dans les études sociologiques et féministes, qui peut être utilisé pour décrédibiliser les luttes féministes par leurs opposants.
Le mot "misandrie" vient du grec "misos" (haine) et "anêr" (homme). Il est utilisé pour qualifier des attitudes, discours ou comportements hostiles envers les hommes en tant que groupe social. Contrairement à la misogynie, qui est un phénomène documenté à travers l’histoire, la misandrie est souvent jugée plus marginale et moins institutionnalisée.
De nombreux auteurs mais surtout autrices ont commencé à travailler sur le sujet récemment. L’une des premières à l’avoir fait est Raewyn Connell dans son ouvrage Masculinités. Elle y explique comment le concept du genre masculin a été construit comme supérieur aux autres individus. Elle appuie particulièrement sur l’intersectionnalité et construit une typologie des masculinités qui diffère selon les hommes Blancs, Noirs, transgenres, hétérosexuels, queer…
La masculinité en tant que base des rapports sociaux pousse les hommes qui sont placés en haut de l’échelle sociale à vivre tout affrontement politique comme de l’oppression. C’est ce que Patrick Guillot a appelé le “deuxième sexisme”. La remise en question du système social et des inégalités systémiques vécues par les femmes fait peur et de nombreux mécanismes sont mis en place pour les contrer.
Certains auteurs parlent de la misandrie comme “d’androphobie”. Le docteur psychiatre-psychothérapeute Nicolas Neveux dit même que "contrairement à la misogynie qui est un phénomène davantage sociétal, la misandrie serait plutôt individuelle, liée à des facteurs psychologiques".
La misandrie est ainsi discréditée, catégorisée comme violente et de source psychotique. Pourtant, classifier la misandrie comme un féminisme extrême est un amalgame. Les deux remettent en cause les normes patriarcales. Débattre sur la différence entre les deux revient à détourner le débat des réels enjeux féministes.
Michael Kimmel, un sociologue états-unien, a travaillé sur ceux qu’il appelle les hommes Blancs en colère (Angry white men). Il montre à travers son étude que ces hommes ne savent pas s’adapter aux changements économiques et sociétaux. Ils voient leur place remise en question par l’égalité des genres notamment. Lorsqu’une crise survient ou que la société ne les récompense pas assez selon eux pour leur travail ou autre, ils remettent la faute sur les autres.
Ces autres sont souvent les femmes, les étrangers, les minorités sexuelles. Quand le privilège historique que représente être un homme blanc baisse et perd sa valeur sociale, ces hommes sentent leurs droits lésés (concept de aggrieved entitlement). Ils ont l’impression de devenir à leur tour oppressés.
Le danger, dit Kimmel, est ce à quoi ce sentiment d’injustice peut mener : une augmentation des violences conjugales, du suprémacisme raciste, des crimes de haine… C’est particulièrement visible aux Etats-Unis, où il a mené son étude.
Comprendre cette étude sociologique explique pourquoi la misandrie fait peur. Les hommes qui se sentent lésés par le progrès social y voient un ennemi. Il est même possible de dire que la misandrie n’est qu’un construit social. Les comportements critiques au patriarcat et les discours dénonciateurs sont instrumentalisés pour justifier ce nouveau sentiment d’oppression androphobe.
Le problème avec l’usage de la misandrie dans les discours masculinistes est qu’elle permet de justifier aussi la montée de la misogynie dans certaines sphères sociales et politiques. Il semblerait juste de s’en prendre aux personnes qui nous détestent et nous attaquent ouvertement. Cela crée un contre-discours à la misogynie systémique, qui est minoritaire et donc marginalisé.
Loin d’être un problème structurel, la misandrie est un concept surmédiatisé qui détourne l’attention des véritables inégalités de genre. Plutôt que de s’attarder sur un phénomène marginal, il est essentiel de concentrer les efforts sur la lutte contre la misogynie et les discriminations systémiques dont les femmes restent les principales victimes.
Tribune personnelle
Le dictionnaire le Robert définit la misandrie comme étant “Le fait d'éprouver de l'aversion pour les personnes de sexe masculin (opposé à misogynie)”. La misandrie est avant tout un mécanisme de défense contre un système oppresseur. Elle est réduite à de la haine alors qu’elle catalyse tous les sentiments négatifs en une colère sourde qui permet aux femmes de continuer la lutte pour la liberté de toutes sans condition.
Les hommes et toutes les personnes qui s’opposent aux misandres veulent en faire un concept obscur, dont il faut avoir peur. Ils essaient de la réduire à une haine non maîtrisée car la haine est le seul langage qu’ils comprennent. Tout n’est qu’enjeu de pouvoir. Les misogynes font du féminisme un enjeu de domination et non de survie. Ce dont ils ne se rendent pas compte est que le but final n’est pas de renverser la domination mais de la détruire. Pourquoi, en ayant vécu l'oppression, voudrions-nous l’imposer à quiconque ?
Le travail de décrédibilisation du féminisme par la misandrie semble fonctionner puisque le nombre de féministes se revendiquant misandres est moindre. Il est difficile en tant que femme d’oser avoir un comportement de haine qui nous semblait jusque là réservé aux hommes ou aux fachistes.
La haine ne résout pas les conflits sociaux dans lesquels nous sommes impliquée.s. Cependant, elle est une force motrice.
Les personnes qui comparent la misandrie à la misogynie la réduisent à tout ce qu’elle critique. Un slogan féministe dit que la misandrie n’a jamais tué personne tandis que la misogynie tue tous les jours. Cette vérité sans pareille échappe à beaucoup. Il faut, pour comprendre la misandrie, s’élever au-delà de la vision que nous impose le patriarcat. La domination et le pouvoir ne font pas tout. Lutter ne veut pas dire vouloir prendre ce pouvoir. Lutter signifie survivre et se battre pour sa liberté et pour l’égalité.
Ainsi, lorsque l’on me demande pourquoi je continue de m’engager aujourd’hui à Fontainebleau, en France, je réponds simplement que le problème est de ne pas voir le problème. Il faut penser à nos soeurs palestiniennes, afghanes, congolaises, soudanaises et à toutes celles dont on ne parle pas.
Nous ne sommes pas libres tant que nous ne sommes pas toutes libres.
Conseils de lecture
Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste
Lucile Peytavin, Le coût de la virilité
Susan Faludi, Backlash, the undeclared war against american women
Sources
Raewyn Connell, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie
https://shs.cairn.info/revue-politix-2015-1-page-170?lang=fr
Michael Kimmel, Angry White Men: American Masculinity at the End of an Era
https://archive.org/details/angrywhitemename0000kimm
https://en.wikipedia.org/wiki/Angry_White_Men
Patrick Guillot Misogynie, misandrie, il y a deux sexismes
https://la-cause-des-hommes.com/spip.php?article316=&utm
Agnès Bourahla-Farine, article sur l’androphobie
https://www.passeportsante.net/sante-mentale/phobie?doc=adrophobie-misandrie