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Par N.O.U.S
26 mai · 6 mn à lire
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Les violences basées sur le genre dans les conflits

Le monde est aujourd'hui agité par plusieurs grands conflits au sein desquels des atrocités ont souvent lieu, dont des violences basées sur le genre. De la guerre entre Israël et le Hamas à celle entre l'Ukraine et la Russie, elles sont aujourd'hui au cœur du débat public et NOUS vous proposons un article pour mieux les comprendre.

TW: cet article fait mention de sujets choquants (viol, viol collectif, violences sexuelles, mutilation, torture…etc.).

Le conflit actuel entre Israël et le Hamas implique des violences basées sur le genre, un fléau dont les organisations internationales se saisissent petit à petit.

En février dernier, des expertes mandatées par l’ONU ont exigé une enquête indépendante et impartiale à la suite d’accusations d’exécutions et de viols commis par l’armée israélienne envers des femmes et des filles à Gaza et en Cisjordanie. S’appuyant sur des témoignages de victimes, de témoins et d’organisations travaillant avec les civils, ce rapport fait état de « traitements inhumains et dégradants », les qualifiant de « violations flagrantes des droits humains ». Il est question d’agressions sexuelles et d’exécutions arbitraires de femmes et de filles, parfois avec les membres de leur famille, dont des enfants, alors qu’elles se réfugiaient ou essayaient d’échapper à l’armée.

En mars, la représentante spéciale de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles en période de conflit Pramila Patten publie un rapport sur les crimes du Hamas depuis l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. Selon elle, il y a des « motifs raisonnables de croire que des violences sexuelles se sont produites en plusieurs endroits de la périphérie de Gaza, y compris sous la forme de viols et de viols collectifs », à la fois lors de l’attaque du 7 octobre et sur des victimes en captivité.

En 2021, la Cour Pénale Internationale avait déjà ouvert une enquête sur des crimes de guerre présumés dans les territoires palestiniens en 2014 par le Hamas, l’armée israélienne et des groupes armés palestiniens.

Que ça soit dans le cadre du conflit israélo-palestinien, de celui entre l’Ukraine et la Russie, ou d’autres conflits plus anciens tels que celui au Rwanda ou en ex-Yougoslavie, les viols et les violences sexuelles sont réguliers et systématiques. Ce sont des techniques de guerre, utilisées comme des armes. A en croire le statut de Rome de 1998, ces actes d’humiliation et d’intimidation, qui peuvent aussi toucher les hommes et les garçons, sont susceptibles de relever de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres estime que « en 2023, du fait de l’émergence de nouveaux conflits et de l’escalade des conflits existants, les populations civiles ont été exposées à des degrés plus importants de violences sexuelles liées aux conflits, lesquelles ont été intensifiées sous l’effet de la prolifération des armes et d’une militarisation accrue ». Il parle de violences telles que le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution, la grossesse et le mariage forcés, utilisés comme tactiques de guerre, de terrorisme et de torture.

Les violences envers les femmes et les filles lors de conflits peuvent prendre la forme de viols et de violences sexuelles, mais aussi de restrictions de leur accès à la santé.

Actuellement, le nombre de Palestiniennes gazaouis en manque d’aide humanitaire est d’environ 1 million : les hôpitaux de la région sont dévastés et manquent de personnel médical, d’électricité, de carburant, d’eau…etc. Si l’aide humanitaire onusienne s’est intensifiée pendant le cessez-le-feu temporaire en novembre 2023, l’acheminement, le déploiement et l’accès à cette aide restent fortement limités. Les installations de partenaires d’ONU Femmes sont endommagées : les 2 seuls refuges pour femmes de Gaza sont fermés, et seulement 3 sont encore fonctionnels en Cisjordanie. Des organisations locales continuent d’opérer sur le terrain, mais leurs capacités sont restreintes.

Les femmes et les filles ont des besoins particuliers : soins de santé maternelle, sanitaires, hygiéniques…etc. A Gaza, il y a une cruelle pénurie d’eau potable, de serviettes hygiéniques et d’autres articles d’hygiène féminine essentiels. Il est estimé qu’environ 50 000 femmes enceintes gazaouies n’ont pas accès à des soins de santé maternelle, ce qui les exposent à des risques d’accouchements non sécurisés et à un manque de soins adaptés pour les bébés.

L’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive perturbé pendant les contextes de crise expose les femmes et les filles à des risques tels que des grossesses non désirées, de la mortalité et de la morbidité maternelle, ou encore des maladies sexuellement transmissibles, notamment après des violences sexuelles. Après le génocide au Rwanda en 1994, certaines femmes survivantes sont mortes des suites du Sida qu’elles ont contracté après un ou plusieurs viols.  

Les violences basées sur le genre touchent encore plus particulièrement les personnes déplacées ou dans des camps de réfugiés.

Dans le contexte du changement climatique, on estime que les personnes déplacées sont à 80% des femmes : la protection de ces dernières en cas de conflit et/ou de la crise environnementale est donc cruciale.

En Cisjordanie, plusieurs centaines de personnes ont été chassées de leurs habitations ou bien leurs maisons ont été détruites par les autorités israéliennes. Pour les femmes et les filles, cela entrave leur accès aux soins. En zone C (la zone A est administrée par l’Autorité Palestinienne, la zone B par l’Autorité Palestinienne et par Israël, et la zone C par Israël), la fourniture de services de santé sexuelle et reproductive est rare et n’intervient que sous la forme de cliniques mobiles. Mais en raison du conflit actuel, les restrictions de déplacement font que ces cliniques ont beaucoup plus de mal à atteindre les femmes et les filles dans le besoin.

Dans tous les conflits, les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée et les violences basées sur le genre augmentent significativement.

Le concept de « violences basées sur le genre » (VBG) émerge dans les années 70 et désigne tout acte violent perpétré sur la base de différences de genre socialement attribuées (Nations Unies). Cela inclut les violences physiques, psychologiques, économiques et sexuelles, ainsi que l’exploitation ou la coercition et les pratiques traditionnelles néfastes. En réalité, les VBG qui ont lieu durant les conflits ne sont que la prolongation d’une discrimination à l’égard des femmes et des filles qui existe antérieurement. La sociologue Liz Kelly parle d’un « continuum de la violence », c’est-à-dire de violences prenant des formes diverses et impactant le parcours de vie des femmes dans la durée.  Lors de conflits, ces violences se manifestent sous des formes graves telles que des exécutions arbitraires, de la torture, des violences sexuelles, des mariages forcés, du trafic et de la traite d’êtres humains…etc.

Dans un contexte de conflit, le recours à la violence sexuelle envers les femmes et les filles est une tactique de guerre.

Et plusieurs raisons l’expliquent : les femmes sont souvent des piliers familiaux et symboliques au sein de leur communauté et leur porter atteinte est un moyen pour l’assaillant de détruire cette communauté et de briser les esprits sur le long terme. Dans un article de Franceinfo datant d’août 2023, la directrice de la Fondation ukrainienne pour la santé publique Halyna Skipalska explique : « c’est un crime commis avant tout contre leur pays et pas contre elles individuellement ». Après des viols, les femmes peuvent tomber enceinte : c’est aussi un moyen d’humiliation à vie.

Le viol a toujours constitué un crime de guerre, mais sa reconnaissance n’a eu lieu que dans les années 90, dans le cadre de la guerre en ex-Yougoslavie.

Le fait que ce conflit ait été proche de l’Europe, et que simultanément se déroulait le génocide rwandais a fortement participé à la qualification formelle du viol comme d’un crime de guerre. Dans les 2 cas, il était question de viols systématiques sur les populations : des « camps de viols » étaient érigés en Bosnie où des femmes bosniaques musulmanes étaient violées à répétition pour donner naissance à « des enfants purement serbes ». Au Rwanda, violer les femmes puis les tuer constituait une véritable politique de guerre.

A la suite de ces conflits, les tribunaux pénaux internationaux ont sévèrement condamné le viol et les violences sexuelles comme des éléments relevant de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de génocide. En 2002, les viols et les violences sexuelles sont intégrés dans la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur lesquels la Cour Pénale Internationale peut statuer, rendant cette condamnation plus globale et plus claire. Aujourd’hui, les instances juridiques internationales se penchent déjà sur la question des violations des droits humains dans le cadre du conflit entre le Hamas et Israël.

Quelles solutions ?

En 1993, l’ONU adopte la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. C’est le 1er cadre international qui définit explicitement les formes de violences envers les femmes. Les Nations Unies développent de nombreuses mesures pour protéger les femmes et les filles victimes de VBG pendant les conflits, mais cela n’est pas suffisant : l’application de ces mesures n’est pas viable et reste complexe. Les VBG, et notamment les viols, sont des crimes dits « silencieux », c’est-à-dire qu’ils laissent peu de traces : les victimes sont souvent forcées à se déplacer, et seulement une minorité reportent leur agression aux autorités.

En 2019, le Conseil de Sécurité a appelé à une approche centrée sur les survivants, axée sur la période post conflit : cela prend en compte des soins médicaux nécessaires, ainsi qu’une assistance sociale et économique pour que les victimes et leurs enfants puissent réintégrer la société. Il s’agit de ne pas les stigmatiser ni les marginaliser, mais de les accompagner dans un processus de reconstruction. Cette approche inclut également la participation des survivants dans les processus de justice transitionnelle, et plus généralement dans les rôles politiques et décisionnels. Il est aussi question de la création d’un fonds spécial pour les victimes.

La qualification juridique du viol durant un conflit est une tâche difficile à réaliser.

L’acte du viol peut prendre plusieurs sens et englobe toutes les formes de violences sexuelles liées au conflit : dénuder autrui, humilier autrui, la mutilation des parties génitales…etc. Cela s’applique pour les femmes, mais aussi pour les hommes. Il s’agit pour les enquêteurs de ramasser les faits et de comprendre comment ils peuvent être punis juridiquement.

Il est souvent difficile pour les victimes de parler de ce qu’elles ont vécu, la révélation d’un viol et/ou d’une violence sexuelle d’un autre type peut prendre du temps.

En Bosnie, il aura fallu plusieurs années pour que les femmes qui ont vécu des violences sexuelles lors du conflit témoignent. Selon Halyna Skipalska, à propos du conflit actuel en Ukraine : « les femmes qui s’adresses à nous [la Fondation ukrainienne pour la santé publique] ne se sentent pas suffisamment protégées pour aller voir la police. Je pense que le nombre de plaignantes va augmenter quand notre pays aura été complètement libéré des occupants et que les femmes se sentiront enfin en sécurité à l’intérieur de nos frontières ».

De plus, quand les personnes sont décédées, il n’y a pas de témoignage à examiner. Mais le témoignage n’est pas le seul type d’élément sur lequel on peut s’appuyer : parfois, il reste des traces de ces violences sur les victimes décédées, comme quand elles sont mortes nues ou dans des positions humiliantes. On peut aussi prendre en compte les témoignages indirects de personnes qui auraient pu assister aux violences.

La documentation des VBG durant un conflit est aussi tâche complexe, notamment dans le cadre de l’actuel conflit en Palestine, car peu de journalistes et d’ONG sont présents sur le terrain. De plus, le personnel gazaoui est confronté aux mêmes difficultés que la population : l’efficace documentation des violences liées au conflit en est par conséquent altérée.

La responsabilité de tels crimes est également question à ne pas négliger : un véritable travail est effectué pour en comprendre l’organisation et les causes, remontant parfois aux commandants des milices et des armées, voire de l’Etat.

Sources :

https://www.lefigaro.fr/international/une-otage-israelienne-raconte-les-agressions-sexuelles-subies-lors-de-sa-captivite-a-gaza-20240327

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/06/une-enquete-des-nations-unies-confirme-les-violences-sexuelles-commises-lors-de-l-attaque-du-hamas_6220503_3210.html

https://www.bfmtv.com/police-justice/afghanistan-gaza-israel-l-onu-denonce-la-hausse-des-violences-sexuelles-lors-des-conflits-en-2023_AD-202404200109.html

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-les-victimes-de-violences-sexuelles-qui-ont-ose-parler-c-est-la-partie-emergee-de-l-iceberg_6009635.html

https://www.lopinion.fr/international/le-monde-doit-comprendre-que-les-femmes-meme-israeliennes-ne-sont-pas-des-armes-de-guerre

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/anne-cecile-mailfert-en-toute-subjectivite/anne-cecile-mailfert-en-toute-subjectivite-du-vendredi-22-mars-2024-5023140

Viols, mutilations : la police israélienne enquête sur "plusieurs cas" de violences sexuelles le 7 octobre (radiofrance.fr)

https://www.onufemmes.fr/nos-actualites/2023/11/30/israelgaza-defendre-les-droits-des-femmes-partout-et-constamment

https://www.lapresse.ca/dialogue/opinions/2023-11-17/conflit-israel-hamas/un-bilan-tragique-pour-la-sante-des-femmes-et-des-enfants.php

https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20240222-ex%C3%A9cutions-viols-des-expertes-de-l-onu-s-alarment-des-violences-contre-les-femmes-%C3%A0-gaza

https://www.oxfamfrance.org/humanitaire-et-urgences/violences-de-genre-et-conflits-les-femmes-paient-le-prix-fort/#:~:text=En%202019%20en%20France%20par,violences%20conjugales%20sont%20des%20femmes

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-transition-de-la-semaine/viols-de-guerre-les-femmes-doublement-victimes-des-conflits-en-cours-8043450

Source de l’image d’en-tête :

https://www.unwomen.org/fr/what-we-do/ending-violence-against-women/faqs/types-of-violence